Friday, December 29, 2006

Les Mystères de l'Incarnation (Théâtrale)


L'instant où l'acteur devient personnage. Dans les coulisses, la respiration change, le regard devient vague, plus profond, fixé sur un au-delà invisible. L'acteur mue, devient autre, devient l'autre. L'altérité révélatrice, le dépassement de soi, de l'individualité, la transcendance de l'être.
Un pas sur scène, et la vie est oubliée, les souvenirs envolés, disparus, comme un rêve qui s'échappe à l'orée du jour. Les cris obscurs et réprimés grondent dans le décor fragile et trompeur. Quelquefois, ce décor n'est que lumière, ombre et lumière, clair-obscur subtil et troublant.

Et dans la salle aussi, il y a l'instant du basculement, le saisissant vertige que l'on ressent lorsque le défilé dramaturgique prend le pas sur la vie, sur l'histoire personnelle et bien réelle, ou perçue comme telle. Le moment où le théâtre en tant que lieu perd sa matérialité de pierre et de stuc, et où la scénographie de carton-pâte, ce trompe-l'oeil, prend valeur d'unique réalité. Il y a alors imprégnation, absorption, possession infiniment précise des esprits charmés, ensorcelés, fascinés par le jeu des acteurs, la vie des personnages.
"Douce flexibilité de l'esprit humain, qui peut tout d'un coup s'abandonner aux illusions qui trompent les réalités de ce monde." (Sterne, Voyage sentimental)
La salle disparaît, les fauteuils ne sont plus des sièges de velours, les décors s'estompent peu à peu, la scénographie s'efface, s'effondre, et cède la place à l'Imaginaire Incarné. Le théâtre n'est plus un théâtre, c'est une porte ouverte sur un monde, sur un univers disparu et comme oublié, celui des passions dévorantes et des dévorations passionnées. Les sensations prennent forme, et les sentiments prennent vie.
S.

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Friday, December 15, 2006

Silent Collisions. La Cité Radieuse. Métapolis (I et II)


C'est une trilogie que nous propose Frédéric Flamand. Une trilogie sur les rapports de l'homme à sa ville.
En filigrane on retrouve les mots d'Italo Calvino dans "Les villes invisibles". Il y mêle aussi les procédés techniques en projetant des images, des corps en mouvement (ceux des danseurs en action dans l'instant même). Il investit l'architecture en travaillant avec des personnes comme Zaha Hadid, Dominique Perrault ou Thom Mayne.
Pour moi, c'est un chorégraphe transcendant, d'une grande finesse.

La Cité Radieuse.
Il y a des spectacles qui vous ouvrent les yeux, qui parlent à votre âme, qui bouleversent votre existence. La Cité Radieuse s'est emparée de moi. Je suis entrée dans le spectacle à coeur perdu et je n'en sortirai plus. Je n'arrivais pas à retenir mes larmes devant la poésie infinie des contacts. Je suis allée le voir deux fois dans la même journée tellement ce spectacle m'a chavirée. Toujours dans la même émotion. Instant précieux. Ivresse d'amour et de féérie. Moment de Grâce, vague de sublime, magie de l'Humain. On n'a pas tous les jours accès aussi facilement à son âme...


Métapolis II.
Métapolis II est la reprise de Métapolis mais adapté à la nouvelle équipe de danseurs. C'est la Danse elle-même qui se plie pour épouser les corps.
Je ne peux pas faire de comparaison, n'ayant pas vu la première version. Par contre, je trouve l'oeuvre plus violente que La Cité Radieuse, plus noire dans ses moments de contrôle, de soumission. Pourtant la virtuosité de l'ensemble m'a encore transportée. J'ai trouvé que Lionel Hun se démarquait davantage, sa maîtrise était plus impressionnante, et en même temps, chaque danseur est tellement spécial, tellement unique que l'équilibre est maintenu.



Ce sont des spectacles à ressentir, à vivre. Les mots les abîment, ils ne sont pas à la hauteur du talent de Frédéric Flamand. Je vous invite donc à découvrir "Silent Collisions" au Théâtre National de La Criée à Marseille, du 18 au 21 Janvier 2007.


http://www.ballet-de-marseille.com

www.theatre-lacriee.com

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Mémoires d'un tricheur. De Sacha Guitry. M.e.s Francis Huster


J'avoue que j'y suis allée assez fermée... Je n'apprécie pas en général Francis Huster, je le trouve trop adulé, trop "télévisé". Et pourtant...
Il faut le reconnaître, j'ai passé une excellente soirée. La mise en scène est très dynamique et emporte instantanément les spectateurs dans les tribulations de ce tricheur improbable. Comme lorsqu'il échappe enfant à l'empoisonnement, cette pièce est un pied-de-nez délicieux, une pirouette fantasque. C'est frais mais pas seulement, c'est aussi émouvant.

S'il est vrai que Francis Huster m'a épatée (je retire tout le mal que j'ai pu dire *avant*, il est définitivement un grand homme de théâtre et c'est comme ça que je le verrai dorénavant), il faut aussi souligner la prestation du barman, Yves Le Moign', qui tempère l'électricité de Francis Huster, et qui est tout aussi appréciable.


Au Théâtre du Gymnase à Marseille du 3 Avril au 7 Avril 2007.
www.lestheatres.net

Pour voir des extraits du spectacle, rendez-vous sur le site du Théâtre des Célestins de Lyon :
http://www.celestins-lyon.org/index.php?id=170

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Sunday, December 10, 2006

"Marcia Hesse", de Fabrice Melquiot, m.e.s. Emmanuel Demarcy-Mota


Une pièce de théâtre à la fois amusante et grave : 13 à table un 31 décembre, avec l'ombre d'une jeune défunte qui plane.
Portrait piquant d'une famille qui se retrouve dans une grande maison, au bord de la mer, en Bretagne, un soir de tempête, pour fêter le nouvel an. La tempête est aussi au fond des coeurs.
Les conversations glissent, les piques également, l'humour est mordant, le cynisme de rigueur. Chacun s'accroche à son rêve, chacun vit dans sa réalité. Parfois, les destinées se télescopent, et les contours de la tragédie se dessinent, apparaissent, en filigrane de la comédie, et on voit le drame flotter dans la transparence des rideaux éclairés en contre-jour.
Il y a le cérémonial des cadeaux, de l'attribution des chambres. Il convient d'aimer les coquillages, le vin et le foie gras. Il y a des regrets et de l'amour refoulé qui se serrent au fond des gorges. Les mots ne sortent pas toujours, ou alors ce ne sont pas les bons. Chacun se cherche, s'aime, et se déteste à la fois. Les liens du sang, que l'on croyait solides, se disloquent par intermittence, à l'image du sol qui se fendille et se crevasse, entre deux apparitions du spectre de la fille de la maîtresse de maison, cette enfant dont peu de gens osent prononcer le nom, mais qui pourtant donne le titre de la pièce.
La mise en scène est astucieuse et enlevée, admirablement servie par le décor et les effets sonores. Au loin, l'orage gronde, le vent siffle, les vagues se fracassent contre les rochers, et il en est de même de la mémoire de Marcia Hesse. Son souvenir grince dans tous les esprits. Le sapin de Noël est un arbre mort, un corps gît à ses pieds, mais personne ne le voit, ou tout le monde feint de l'ignorer.
Le texte est remarquablement bien écrit. Chaque réplique fuse et se grave dans l'espace théâtral. Le dramaturge est habile à tisser sa rhapsodie.
Les acteurs, fort talentueux dans l'ensemble, portent cette langue tranchante et brillante avec éclat, notamment le comédien Philippe Demarle, qui est irrésistiblement touchant.
"Marcia Hesse" est publié par L'Arche Editeur, 2005, 96 p., 10 €.
Fabrice Melquiot, dramaturge, poète et acteur, rédige un blog :
S.

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Thursday, December 07, 2006

Gianluigi Toccafondo, ou la peinture en mouvement


Gianluigi Toccafondo est un peintre, illustrateur et cinéaste italien né en 1965 à San Marino. De sa double passion pour la peinture et le cinéma naît une peinture animée mêlant poésie des formes et des couleurs. Ainsi travaille-t-il avec des photographies, des photocopies et des photogrammes qu'il retouche à la peinture, utilisant divers médiums, transformant les images en univers à trois dimensions, qui englobent et emportent les personnages.
Ceux-ci courent avec leurs membres fuyants, se déforment, et s'envolent dans des paysages improbables et insaisissables. L'esprit hésite sans cesse entre le burlesque, le rocambolesque et l'onirisme délirant. Les formes sont mouvantes, les textures insaisissables.
Toute l'oeuvre de Toccafondo est basée sur le mouvement, la transformation, et la magie de l'animation fait communiquer les images entre elles. Ce sont elles d'ailleurs qui déterminent et définissent le sens des histoires racontées. Parfois, quand la commande l'exige, le scénario précède la danse.
Car c'est de danse qu'il s'agit au fond, de théâtre, de théâtralité même, un théâtre de marionnettes dont le maître mot est la Fabula, l'univers du Conte.

"Essere morti o essere vivi è la stessa cosa" (2000), film en hommage à Pier Paolo Pasolini, est un bon résumé de l'oeuvre de Toccafondo, qui oscille en permanence entre rêve et réalité.


A voir, jusqu'au 23 décembre 2006, l'exposition Lanterna Magica, à la Galerie de l'Ecole Supérieure des Beaux-Arts de Marseille, 41 rue Montgrand, qui présente plus de 200 dessins de l'artiste, ainsi que de nombreux dessins animés.
http://fotokino.org/IMG/pdf/programme06.pdf

A visionner, La coda (1989), un court-métrage de 2'
http://www.vimeo.com/clip:119353

Enfin, le site d'Arte propose La Piccola Russia, un dessin animé de 16'
http://www.arte.tv/fr/cinema-fiction/court-metrage/Visionner_20des_20films/400994,CmC=563638.html
S.

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