Monday, March 24, 2008

En ce temps-là, le monde des miroirs et le monde des hommes n'étaient pas isolés

Les spectateurs entrent dans les locaux de l'Ecole de Danse, tous plus étranges les uns que les autres. Il y a cette volonté du masque. Les gens sont grimés. Les visages, les corps disparaissent sous les apparences grimaçantes. Tous plus étrangers les uns que les autres. Des faces blafardes. La lumière des néons sans doute. Des regards vides. La bière à la main. De l'alcool, beaucoup d'alcool, pour se donner contenance, pour se libérer l'esprit. Comment voir dans ces conditions un spectacle sensible et spirituel ? Du bruit, beaucoup de bruit, le silence est devenu un luxe.
Alors vient le moment de l'entassement. Il y a parfois des flashes d'appareils photographiques. Je ne sais pas qui veut immortaliser quoi. Bientôt la représentation.

idée out : la vitesse
idée in : ralentir
idée choc : clonez-moi !
idée cool : être ensemble
trois idées top : riche jeune et beau
idée chic : être star au Japon
dernière idée : être heureux



Ce soir, nous revoyons pour la deuxième fois La Cité Radieuse, dans les locaux du Ballet National de Marseille. La salle est toute neuve, plus petite bien sûr que celle du Théâtre de La Criée. Le ballet s'adapte. Je me demande si les dimensions des décors ont été revues à la baisse. Pas la qualité du spectacle en tout cas. On peut noter également l'absence de quelques danseurs, tels Lionel Hun ou Yannick Rayne. Comme toujours avec Frédéric Flamand, la chorégraphie évolue, c'est elle qui va vers les interprètes, et pas l'inverse.
Ce soir encore, c'est un submergement de poésie.
soi
que soi
mieux que soi
toujours soi
toujours mieux que ça
toujours mieux que soi
tout va
tout va encore
tout va encore bien
tout va encore très bien
tout va très bien
tout bien
bien
bien que...

http://www.ballet-de-marseille.com/


Les textes en italique, ainsi que le titre, sont extraits du spectacle, à la volée, dans le noir, et dans l'impulsion du moment.
On se reportera aux articles antérieurs, traitant du même sujet, pour obtenir des informations supplémentaires quant à la portée symbolique et esthétique des ballets de Frédéric Flamand, directeur du Ballet National de Marseille.

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Sunday, March 16, 2008

Le port


A la mémoire de Roger Bacciardi (1934-2008).

"Un port est un séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie. L'ampleur du ciel, l'architecture mobile des nuages, les colorations changeantes de la mer, le scintillement des phares, sont un prisme merveilleusement propre à amuser les yeux sans jamais les lasser. Les formes élancées des navires, au gréement compliqué, auxquels la houle imprime des oscillations harmonieuses, servent à entretenir dans l'âme le goût du rythme et de la beauté. Et puis, surtout, il y a une sorte de plaisir mystérieux et aristocratique pour celui qui n'a plus ni curiosité ni ambition, à contempler, couché dans le belvédère ou accoudé sur le môle, tous ces mouvements de ceux qui partent et de ceux qui reviennent, de ceux qui ont encore la force de vouloir, le désir de voyager ou de s'enrichir. "




Charles Baudelaire.

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Saturday, March 15, 2008

Lampe en plein jour


Ainsi était surnommé le poète et moine japonais Ryokan (1758-1831), du temps de sa jeunesse, par ses voisins, en référence à son caractère contemplatif et nonchalant. Ryokan aurait dû succéder à son père et devenir le chef du village, mais il a préréfé entrer en religion, ce qui ne l'a pas empêché de devenir moine itinérant, vivant alors en dehors de l'institution monastique.
Il ne chérissait rien de plus que la simplicité et la liberté, et il mettait en garde contre "la poésie de poète, la calligraphie de calligraphe et la cuisine de cuisinier". D'ailleurs, il était d'une grande modestie quant à ses talents poétiques.

qui dit que mes poèmes sont des poèmes ?
mes poèmes ne sont pas des poèmes
si vous comprenez que mes poèmes ne sont pas des poèmes,
alors nous pourrons parler poésie



Les éditions Moundarren, spécialisées dans la littérature extrême-orientale, proposent certains de ses textes, dans des ouvrages élégamment reliés de ficelle, et en version bilingue. Dans Recueil de l'ermitage au toit de chaume, on peut lire notamment :


les gens me demandent
à quoi je suis utile
au milieu des roseaux
le matin je me fraye un chemin
allant où j'ai envie d'aller


je n'ai rien de spécial
à vous offrir
juste une fleur de lotus
dans un petit vase
à regarder un long moment


la vie en ce monde
à quoi la comparer ?
à un écho
qui se propage
et se perd dans le vide

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Sunday, March 09, 2008

"Nous faisons du Théâtre jeune homme" (Les illusions comiques, m.e.s. Olivier Py)


Le théâtre est une épine dans la chair de l'autre.
Le théâtre est la première pensée humaine et sa dernière question.
Nous sommes libres, voilà l'horreur, le théâtre est la musique de cette liberté.
Le théâtre est le lieu où les choses cachées depuis le début des temps sont révélées sans qu'on puisse toutefois les comprendre absolument.
Le théâtre est vainqueur des dieux, il est le seul qui laisse la Nécessité sans voix.
La scène est ouverte. La représentation est imminente. Olivier Py et ses acteurs, dans une sérénité fragile, se cachent encore derrière les décors et s’encouragent. L’auteur, le metteur en scène, le régisseur des lumières, l’acteur ne sont qu’un : il est le centre. Tout tournera autour de lui, avec la force même de l’autodérision.
Il observe. Il s’imprègne. À l’entrée et à l’entracte, les métamorphoses se feront sous les yeux du public. Ce soir tous les mystères seront dévoilés.
Les quatre acteurs et le Poète mort trop tôt font vivre des personnages improbables pour laisser émerger cent définitions du Théâtre.


Monsieur Fau. 9 – Le théâtre est le miroir du monde qui est le miroir du théâtre.
Tante Geneviève – Et notre présence au monde y est inversée et illisible.
Monsieur Fau. 1O – Le miroir est ce qui écrit en lettres inversées, et comme le monde marche à l'envers le théâtre le remet à l'endroit.
Monsieur Fau. 11 – Le théâtre est un miroir au coeur de la ville qui sert à nous rappeler que tout est théâtre.
Maman. 12 – Le théâtre est miroir dans lequel la totalité du monde se recompose comme totalité.
Monsieur Fau. 13 – Le théâtre est un Narcisse qui ne tombe pas à l'eau.

Derrière le « safran des costumes », les vérités éclatent.
L’acteur est au-delà du texte : il est le théâtre.
Tout est jeu. Il n’y a pas d’interprétation : on joue quelqu’un qui va jouer.
L’Absolu c’est l’incarnation.


On pourrait saluer ici l’immensité du talent de Michel Fau, qui, par son talent inimitable redéfinit les limites du jouable, les limites du possible. On le fera très prochainement. Pour patienter n’oubliez pas :

« Le théâtre est récompense de n’avoir rien attendu ».

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