Friday, October 31, 2008

Venir au théâtre...




Le théâtre relève de l'expérience vécue. Il ne se découvre dans les livres et de façon incomplète qu'au travers de textes qui lui ôtent la dimension de l'espace investi. Il ne se découvre à travers l'image audiovisuelle que comme figé, poli, transformé par cette écriture de l'image qui se superpose à sa propre écriture. Or on accède au théâtre qu'en sautant le pas, en franchissant une porte, en sortant de chez soi pour aller dans un autre lieu et vivre, comme spectateur ou acteur, une plongée dans un univers différent. Et si chaque expérience est singulière, elle est aussi un moment d'un parcours d'initiation artistique qui est finalement à la portée de tous.




G. Caillat, R. Citterio, D. Gaspard-Huit et C. Marion. Le théâtre à l'école.

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Friday, October 03, 2008

Comme le courant calme et profond d'un fleuve


- Excusez-moi, mais vous ne vous seriez pas trompé de bâtiment ? Il se ressemblent tous dans le quartier, dit-elle, en posant son porte-documents sur le comptoir à côté des trombones. Le seul à pouvoir entrer ici et lire les rêves est le liseur de rêves. Personne d'autre ne peut entrer ici.

- Je suis venu lire les rêves, répondis-je. On m'a envoyé de la ville pour ça.

- Excusez-moi, mais pourriez-vous enlever vos lunettes ?

J'ôtai les lunettes noires et tournai mon visage droit vers elle. Elle plongea son regard dans mes pupilles pâles qui portaient la marque du liseur de rêves. Il me sembla que son regard pénétrait jusqu'à la moëlle de mon corps.

- C'est bon, remettez vos lunettes, dit-elle. Vous voulez du café ?


C'est la Fin du monde. Bienvenue au Pays des merveilles sans merci. Nous entrons dans l'univers d'un roman de l'auteur japonais Haruki Murakami, La Fin des temps, où il est question de rêve(s) et de réalité(s), de conscient et d'inconscient. Une dimension où il est possible de perdre son ombre, sa mémoire et son coeur. Une terre fragile, où tout est mouvant, où tout perd son sens usuel, pour en acquérir un autre, ou plusieurs autres. Le domaine des métaphores et des correspondances sensitives aussi, où un simple tissu peut-être bleu sombre, comme un lambeau arraché au ciel qui avec le temps aurait perdu tout souvenir de ses origines.

Un texte très vif, étrange et poétique. L'histoire d'une aventure. Ou plutôt deux histoires, pour une même aventure. Deux récits, qui semblent parallèles, et qui nous déroutent, et qui nous perdent, savamment.


J'abandonnai mon ombre.
Le gardien me fit mettre debout dans le terrain vague près de la porte. Le soleil de trois heures de l'après-midi découpait nettement mon ombre sur le sol.
- Ne bouge pas, me dit le gardien.
Il sortit un couteau de sa poche et glissa la lame acérée entre l'ombre et le sol, la remua un peu de droite à gauche pour tâter le terrain, puis, d'un mouvement habile, il arracha mon ombre du sol.
L'ombre trembla un peu pour se défendre, puis finalement se pelotonna sur le blanc : arrachée à la terre, elle avait perdu toutes ses forces. Une fois séparée de mon corps, mon ombre devenait un être plus misérable que je ne l'aurais pensé, à l'air épuisé.
Le gardien referma la lame de son couteau. Lui et moi, nous contemplâmes un moment cette ombre séparée de son corps.
- Qu'est-ce que tu en penses ? Curieux, hein, une fois séparé du corps ? Bah, une ombre, ça sert strictement à rien. Ca pèse lourd, c'est tout, dit le gardien.

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