Traduttore-Traditore
Lu sur le blog de Pierre Assouline, La République des Livres, le 5 janvier 2008 :
D’où vient la fameuse expression “traduttore-traditore” (traducteur-traître) ? Du latin, certainement. Mais quels en furent les premiers passeurs, les Italiens ou les Français ? La curiosité piquée au vif, le traducteur Bernard Cohen a mené une érudite enquête historico-linguistique pour dissiper le mystère de cette paronomase, cette figure de rhétorique qui consiste à rapprocher des mots aux sonorités analogues mais aux sens différents. Pour l’instant, il a isolé deux sources qui concordent à peu près dans le temps : le chapitre VI de la "Défense et illustration de la langue française" (1549) de Joachim du Bellay, et l’épître “La riposta della Lucerna” dans les "Pistole Vulgari" (1539) de Niccolo Franco. A suivre…
Un rapprochement avec le roman de Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, s’impose. Il s’agit de l’histoire d’un homme qui achète un roman dans une librairie, le lit, et se rend compte qu’il lui en manque la fin. Il retourne donc à la librairie et le libraire lui donne un autre exemplaire du roman, qui s’avère être un tout autre livre. Le Lecteur va alors s’engager dans une quête de la bonne version du texte. L’œuvre de Calvino est ainsi une suite de 10 romans, toujours commencés, jamais achevés, 10 incipit donc. Il y est question de langue originale, de dialectes perdus, de pays lointains, d’auteur étranger, de traducteurs, etc. Et à chaque fois que le Lecteur croira trouver l’authentique roman, il sera confronté à d’étranges traductions, comme autant de trahisons, les mots semblables se trouvant assimilés. Certains titres de chapitre peuvent donner un bon aperçu de ce genre de rapprochements : Dans un réseau de lignes entrelacées côtoie Dans un réseau de lignes entremêlées.
Il y a par ailleurs dans les Fictions de Jorge Luis Borges un phénomène similaire, plus précisément dans La Bibliothèque de Babel. Il y est question d’une bibliothèque suffisamment vaste pour être comparée à un univers. Les bibliothécaires y naissent, vivent et meurent, sans rien connaître d’un hypothétique monde qui existerait à l’extérieur. Et c’est l’un d’entre eux qui en narre l’existence et le fonctionnement singuliers. La fameuse bibliothèque, censée être infinie, contient tous les livres possibles et imaginables, dans le sens où tout ce qui est exprimable y est consigné. Il y a dans l’ensemble des livres toutes les permutations possibles de toutes les lettres, et ce dans toutes les langues existantes. On peut même y trouver le récit du narrateur, et sa réfutation. Le vertige est saisissant. Il y a là une multiplication exponentielle des sens possibles.
Ce qui m’amène à proposer l’idée suivante : il serait intéressant de créer un logiciel de traduction qui respecterait deux principales contraintes :
Le but d’utilisation d’un tel outil serait de traduire des textes en les trahissant volontairement, et donc par là même de créer de nouveaux textes dont la parenté avec le texte original se perdrait. Une multitude de sens apparaîtrait alors. Un jeu serait de mélanger toutes les versions que l’on pourrait obtenir, et de chercher à retrouver le texte initial, ou de le perdre. On obtiendrait un générateur de textes d’un genre oulipien, mais dont les capacités seraient bien plus vastes et vertigineuses, à l’image de ce qu’a pu imaginer Borges.
Labels: Littérature