Les Mystères de l'Incarnation (Théâtrale)

L'instant où l'acteur devient personnage. Dans les coulisses, la respiration change, le regard devient vague, plus profond, fixé sur un au-delà invisible. L'acteur mue, devient autre, devient l'autre. L'altérité révélatrice, le dépassement de soi, de l'individualité, la transcendance de l'être.
Un pas sur scène, et la vie est oubliée, les souvenirs envolés, disparus, comme un rêve qui s'échappe à l'orée du jour. Les cris obscurs et réprimés grondent dans le décor fragile et trompeur. Quelquefois, ce décor n'est que lumière, ombre et lumière, clair-obscur subtil et troublant.
Et dans la salle aussi, il y a l'instant du basculement, le saisissant vertige que l'on ressent lorsque le défilé dramaturgique prend le pas sur la vie, sur l'histoire personnelle et bien réelle, ou perçue comme telle. Le moment où le théâtre en tant que lieu perd sa matérialité de pierre et de stuc, et où la scénographie de carton-pâte, ce trompe-l'oeil, prend valeur d'unique réalité. Il y a alors imprégnation, absorption, possession infiniment précise des esprits charmés, ensorcelés, fascinés par le jeu des acteurs, la vie des personnages.
"Douce flexibilité de l'esprit humain, qui peut tout d'un coup s'abandonner aux illusions qui trompent les réalités de ce monde." (Sterne, Voyage sentimental)
La salle disparaît, les fauteuils ne sont plus des sièges de velours, les décors s'estompent peu à peu, la scénographie s'efface, s'effondre, et cède la place à l'Imaginaire Incarné. Le théâtre n'est plus un théâtre, c'est une porte ouverte sur un monde, sur un univers disparu et comme oublié, celui des passions dévorantes et des dévorations passionnées. Les sensations prennent forme, et les sentiments prennent vie.
Labels: Théâtre